Raphaël Zarka s’est fait connaitre en marge du milieu de l’art contemporain par plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire du skateboard. Un catalogue rétrospectif sur son travail a par ailleurs été publié en 2012 par B42. L’exposition qui lui est
consacré au MRAC de Sérigan est une excellente occasion pour renvoyer nos lecteurs vers les publication de cet artiste qui était sélectionné pour le prix Marcel Duchamp l’automne dernier.
Raphaël Zarka poursuit une exploration personnelle des formes, de leur combinaison et de leur représentation en proposant une double exposition, répartie sur les deux niveaux du Musée régional d’art contemporain de Sérignan, dont le commissariat est assuré par Hélène Audiffren sa directrice. L’exposition permet d’appréhender les enjeux principaux enjeux de son travail repérés depuis une dizaine d’années tout en révélant des aspects en cours d’expérimentation. Dans la grande salle du rez-de-chaussée, Zarka présente une vingtaine de sculptures en bois produites pour l’exposition, Les Prismatiques : un répertoire d’assemblages composés à partir du motif unique de la clef de châssis utilisée par les peintres pour ajuster la tension de la toile. À l’étage, une installation inédite, des photographies, des sculptures et un film permettent de poursuivre la réflexion sur la fascinante figure géométrique dont il est l’un des plus importants collectionneurs : le rhombicuboctaèdre.
Au début des années 2000, c’est à quelques kilomètres de Sérignan que Raphaël Zarka découvre deux polyèdres abandonnés dans le paysage. Des objets artificiels, livrés de manière incongrue à la nature. Il les prend en photographie dans l’environnement où ils ont échoué et entreprend une recherche pour établir l’histoire de cette forme géométrique constituée de huit faces triangulaires et de dix-huit faces carrées. L’enquête sur le rhombicuboctaèdre le conduit à entamer une encyclopédie compilant toutes ses découvertes. Ce volume est redécouvert à plusieurs reprises au cours des siècles, il est interprété à des échelles et dans des matériaux hétérogènes. Les planches du catalogue raisonné en construction, sorte d’atlas à la Warburg, mettent d’ailleurs en évidence des survivances ou des filiations passionnantes entre le polyèdre réinventé par l’auteur de La Divine proportion, Luca Pacioli, représenté dans le célèbre portrait de Jacopo de’ Barbari (1495), des détails architecturaux, des enseignes de magasin, des dessins de Léonard de Vinci, ou les récifs sous-marins en béton destinés à reconstruire la faune et la flore marine. Au MRAC, la principale installation associe plusieurs éléments ayant émergé au gré des recherches de Zarka : un dispositif de cordage maintient en suspension des rhombis de verre remplis à moitié d’eau reliés à des tripodes en béton (bises lames). Cette œuvre met en tension des masses (physiquement) ainsi que des références artistiques et intellectuelles. La dimension marine ou aquatique vers laquelle converge plusieurs éléments de l’histoire de ce polyèdre sont concentrés dans cette très belle pièce qu’on ne peut pas véritablement qualifiée d’in situ, mais dont les proportions et les systèmes de contrepoids ont été choisis en fonction de l’espace. Plusieurs photographies de la série Les Formes du repos sont accrochées autour de cette installation. Il s’agit de rhombis, de cylindres, ou d’imbrications de formes géométriques repérés et capturés par Raphaël Zarka, le plus souvent dans des terrains vagues ou des territoires en friche. Les deux premiers objets de la série ont récemment été déposés au lycée de Sérignan afin qu’ils soient prochainement transformés en sculpture à l’occasion d’un workshop conduit par l’artiste et qu’ils demeurent à long terme dans l’établissement en tant qu’œuvres d’art.
Au rez-de-chaussée, nous sommes invités à pénétrer un paysage d’objets tous déterminés par une contrainte de type oulipien : l’utilisation de la clef de châssis. Chaque sculpture est un assemblage différent réalisé à partir de ce module de taille unique découpé dans des billes de chêne. Zarka tente d’épuiser par la sculpture les multiples combinaisons envisageables à partir de cet élément, ni tout à fait triangulaire, ni tout à fait trapézoïdal, rattaché à l’histoire technique de la peinture. Disposées dans l’espace de manière à ce qu’aucune pièce ne soit dans l’alignement d’une autre, Les Prismatiques sont inscrits dans une longue perspective ponctuée par une succession de plans qui aboutissent sur deux peintures murales. Les deux monochromes roses dynamisés par des liserés gris et rouge – des chromatismes inspirés par les primitifs siennois – permettent d’asseoir la mise en espace et d’établir une corrélation entre peinture et sculpture, mais ils témoignent également d’un désir pictural de l’artiste, d’une envie de penser autrement le rapport à la tri-dimensionnalité en questionnant la platitude de la peinture. Posées sur des socles constitués d’une bille de bois veiné et d’une tablette de béton, Les Prismatiques font écho à la statuaire extra européenne, en particulier océanienne, bien qu’il n’y ait aucune ambition de figuration ou de représentation dans cette suite avant tout caractérisée par le jeu et l’aléatoire.
Monographie : Raphaël Zarka, edition bilingue, Paris, B42, 2012, 208 pages, 30 euros.
Raphaël Zarka, La Conjonction interdite. Notes sur le skateboard, Paris, B42, 2011, 48 pages, 8 euros
Raphaël Zarka, Freeride. Skateboard, mécanique galiléenne et formes simples, Paris, B42, 2011, 128 pages, 19 euros.
Raphaël Zarka, Chronologie lacunaire du skateboard, Paris, B42, 2009, 128 pages, 15 euros.