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Exposition Joseph Cornell

Le musée des Beaux-arts de Lyon propose la première exposition consacrée à Joseph Cornell en France depuis plus de trente ans. L’occasion pour le musée d’éditer un maginifique catalogue d’exposition qui restera aussi

comme un livre d’art de référence sur les liens entre Cornell et les surréalistes.

« Salaud, et encore salaud ! » se serait exclamé Salvador Dalí pendant la première projection du film Rose Hobart à la galerie Julien Levy de New York (décembre 1936) qui se déroula quelques jours après le vernissage de l’exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism (MoMA). Très impressionné par ce film de montage réalisé à partir d’une copie d’East of Borneo et de quelques plans de films scientifiques, Dalí réagit violemment face à cet objet et prétend qu’il avait la même idée, mais qu’il lui manquait l’argent pour pouvoir la mettre en œuvre. Selon Memoir of an Art Gallery de Julien Levy, il s’est senti volé, dépossédé de son idée, alors qu’il ne l’avait jamais rendue public. Dans Sortir du cinéma (éd. MAMCO, 2013), Érik Bullot consacre un essai à la fois documenté et spéculatif aux films de Joseph Cornell dans lequel il revient sur cet incident significatif et sur les « motifs secrets » qui ont pu secouer Dalí. « L’artiste a procédé à un remontage du film en brisant sa continuité dramatique, en réduisant sa durée de soixante-dix-sept à dix-neuf minutes, il a ralenti le tempo en projetant le film à 16 images/seconde, placé un filtre bleu devant le projecteur, supprimé le son original (lors des présentations plus tardives, l’artiste fera jouer en alternance deux morceaux de musique tirés d’un disque de Nestor Amaral, Holiday in Brazil [...]). Le détournement est radical. » Dès le premier plan de Rose Hobart, Cornell introduit une référence explicite au surréalisme en citant la célèbre photographie d’Atget de l’observation de l’éclipse reproduite en couverture du n° 7 de La Révolution surréaliste (juin 1926). Toujours selon Érik Bullot : « En révélant l’inconscient d’East of Borneo par le jeu des raccords et la présence insolite des objets, Cornell pratique, lui aussi, la méthode « paranoïa-critique » prônée par Dalí. La pratique du found footage qui permet de créer d’autres modalités narratives à partir des mêmes images montées différemment connaîtra une postérité dans le domaine du film expérimental à cheval entre art et cinéma, mais également dans une frange du cinéma d’auteur contemporain qui repose sur des paradoxes temporels. L’exposition Joseph Cornell est les surréalistes à New York, organisée conjointement par le Musée des Beaux-arts de Lyon et The Fralin Museum of Art (université de Virginie), est le premier événement d’envergure organisé depuis plus de trente ans en France autour de cette figure singulière, souvent considérée comme un satellite de la constellation surréaliste. Le parcours imaginé par Matthew Affron et Sylvie Ramond vise à valoriser les échanges entre Cornell et les surréalistes européens qui sont très actifs aux États-Unis dans les années 1930 et 1940. Disons-le immédiatement, l’exposition est admirable : complète sur le plan historique, magnifique sur le plan visuel... Aboutissement d’un travail mené pendant près de cinq ans, cet événement démontre une nouvelle fois les capacités de Sylvie Ramond à s’associer avec les plus importantes institutions américaines pour construire des projets inédits en France, accessibles au plus grand nombre, et rigoureux scientifiquement.  Toutefois, il nous semble que le médium cinéma, si important pour Cornell, aurait pu prendre une autre dimension dans l’exposition, en être le fil conducteur, ou le prisme par lequel observer l’ensemble de ses pratiques artistiques. La petite salle de cinéma située au premier étage reconstitue le programme présenté à la galerie Julien Lévy : Rose Hobart est suivi d’Anémic Cinéma (Marcel Duchamp, 1926) et de L’Étoile de mer (Man Ray, 1928). Mais, la relation particulière entretenue par Cornell avec le cinéma n’est pas véritablement exploitée. Son activité de collectionneur de copies de films, son intérêt pour la partie technique de la projection, le rapport physique au découpage de l’image, la thématique fondamentale du montage qui en découle directement sont autant de points issus du cinéma qui nous semblent structurer la totalité de sa relation à l’art (les collages, les boîtes, les valises...). Érik Bullot referme son article intitulé « Le voyageur dans les glaces » en traçant cette trajectoire reliant construction des objets et montage cinématographique : « Entre symbolisme et surréalisme, cartographie et secret, passé et présent, les boîtes de Joseph Cornell, en suggérant la nostalgie d’un événement qui n’a pas eu lieu, offrent une allégorie du pouvoir métaphorique du cinéma ». Après une salle introductive rassemblant des portraits photographiques des membres de la constellation surréaliste considérés dans la suite du parcours, l’exposition s’ouvre sur une salle plongée dans le noir, bien scénographiée, une sorte de cabinet des merveilles où l’on peut retracer l’évolution des travaux d’assemblage dans le domaine de l’objet. Les premières sont des boîtes à pilules circulaires dans lesquelles se rencontrent plusieurs choses trouvées : une bille, une coquille d’escargot et un ressort ; des aiguilles ; ou des spirales et des étoiles. À chaque ouverture de la boîte, la configuration des objets est légèrement différente. Bien qu’elle ne puisse être exercée dans le cadre d’une exposition patrimoniale, la manipulation des boîtes de Joseph Cornell  compte pour beaucoup dans leur réception poétique. Plusieurs vidéos rendent compte de la métamorphose de ces paysages marins mouvants où le sable glisse doucement en dévoilant tel détail de gravure collée dans le fond ou recouvre un morceau de coquillage... Dans un essai de 1953 consacré à Cornell, reproduit au tout début du catalogue de l’exposition, le peintre Robert Motherwell convoquait une formule de Gérard de Nerval : « l’épanchement du rêve dans la réalité ». Elle décrit en effet parfaitement le sentiment ressenti devant cette succession d’objets rarement montrés, des réductions du monde où sont condensés et constamment rejouées les paramètres orientant notre existence.
 
Deux collages, destinés à des supports précis, nous ont davantage intéressé que les nombreux exemples trop redevables au génie de Max Ernst exprimé dans le roman-collage La Femme 100 têtes (1929). Le collage de Cornell représentant un garçon soufflant les lettres du mot « surréalisme » est édité en couverture du catalogue de l’exposition de 1931 à la galerie Julien Levy – le rayonnement du surréalisme outre-Atlantique passe par ce lieu ; tandis qu’en janvier 1943 il dirige un numéro spécial de la revue View intitulé « Americana Fantastica » pour lequel il créé une belle couverture évocatrice de la richesse de la culture américaine sur fond des chutes du Niagara. Ces deux projets éditoriaux témoignent de la proximité entre les préoccupations de Cornell et des membres du groupe surréaliste. Les deux salles vouées aux peintures confrontent habilement des modèles picturaux (René Magritte, Giorgio De Chirico, Yves Tanguy, Max Ernst ou Pierre Roy...) et de surprenants montages tridimensionnels des années 1930. Le dispositif d’accrochage des boîtes est réussi : il permet de lire convenablement l’image principale tout en ménageant la possibilité d’appréhender les différentes faces de l’objet. Les peintures de Pierre Roy, à la limite du genre du trompe-l’œil, associent dans des cadres de bois feints des verres de vin, des œufs, des fils ou des étoffes suspendus... L’écho formel avec une boîte tardive intitulée Soap Bubble Set (1960), ayant appartenu à Arturo Schwarz, est saisissant. Les commissaires de l’exposition ont porté leur attention sur des peintures de grande qualité, qui apportent des clefs de compréhension et qui stimulent le regard du visiteur. Enfin, la section articulée autour des liens avec Marcel Duchamp, rendant compte à la fois des recherches sur les jeux visuels et sur le musée portatif en valise, apporte également énormément à la perception encore parcellaire du « monteur » Cornell. Il invente un jeu inspiré du thaumatrope dont le principe est de donner l’illusion de la superposition de deux images imprimées distinctement sur les deux faces d’un disque. Cet intérêt pour l’optique se retrouve dans les Rotoreliefs de Duchamp conçus dans les mêmes années. Spécialiste dans la fabrication des boîtes, Cornell collabore avec Duchamp pour la réalisation de la Boîte-en-valise. Plus tard, il travaille lui-même sur plusieurs projets d’œuvres d’art organisées en valises : Museum (1949) ou The Crystal Cage (Portrait of Berenice) (1943-1960). Dans cette dernière, il compile en vrac des archives rassemblées aléatoirement, divers imprimés, des photographies, des publicités, des reproductions d’œuvres d’art, des agendas ou des notes manuscrites, afin de mettre en scène une histoire imaginaire par association de fragments épars. Le collage publié dans le numéro spécial de View (1943) préfigure le dossier ouvert sur la figure de Bérénice qu’Anne Théry analyse dans son abécédaire illustrant les rapports entre Cornell et la France publié au début du riche et beau catalogue. Le colloque international intitulé « Joseph Cornell et le cinéma sans caméra », qui se déroulera le 7 février à l’Institut national d’histoire de l’art et le 8 février au musée des Beaux-arts de Lyon, permettra sans doute d’en découvrir davantage sur le rôle crucial du cinéma dans l’activité de montage et d’assemblage de ce chasseur d’images.

 « Joseph Cornell et les surréalistes à New York », musée des Beaux-arts, 20 place des Terreaux 69001 Lyon, jusqu’au 10 février 2014, www.mba-lyon.fr  Catalogue de l’exposition édité par Hazan, 400 pages, 350 illustrations, 45 euros Colloque international : 7 et 8 février 2014

Ouvrage complémentaire : Érik Bullot, Sortir du cinema. Histoire virtuelle des relations de l’art et du cinema, Genève, MAMCO éditions, 2013, 272 pages, 22 euros.